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Confessions d'un texte médical face à une imminente traduction de l'anglais à l'espagnol

Publié le 18/07/2018

Bonjour. Je suis un texte médical de 12.533 mots, rédigé en japonais, et je m'intéresse à un cas clinique extrêmement intéressant (et qui sait, peut-être révolutionnaire), de lésion ischémique du putamen (on commence : le putamen est l'une des composantes des noyaux gris centraux du système extrapyramidal) et leur relation avec le syndrome de Kernohan. Je n'ai ni graphiques, ni images, ni tableaux. On va me traduire à l'espagnol.
J'ai peur. Comme Angela, le personnage principal de Tesis, le film d'Amenábar de 1996: 

Je suis déjà passé par là : d'abord on m'a traduit du japonais à l'anglais. Cela a été un véritable traumatisme, au sens propre et au figuré : personne ne s'en est rendu compte mais dans ma version anglaise il manque une ou deux idées de l'original en japonais. Elles n'étaient pas fondamentales mais je me sens mutilé. Je ne suis plus celui que j'étais. En plus, dans la traduction, il manque des nuances importantes et le traducteur a introduit deux erreurs de son cru et un régionalisme hors de propos.

Confessions d'un texte médical face à une imminente traduction de l'anglais à l'espagnol

Mon auteur, la Doctoresse Hashio Unlio a commandé et supervisé cette première traduction, mais elle n'a pas été très satisfaite. D'une part, elle ne domine pas suffisamment l'anglais. D'autre part, au laboratoire, on lui a suggéré que ce soit Guorfast Memokú, un boursier très dégourdi du département, qui fasse la traduction et que celle-ci soit considérée comme « une partie de sa formation ». Malheureusement, dès le départ, il n'y a eu que peu de temps et d'argent pour effectuer la traduction.

Maintenant, on va me traduire à l'espagnol. J'ai peur.

J'aurais peut-être de la chance et je tomberai entre les mains d'un médecin qui soit un bon connaisseur de la langue française (surtout) et de l'anglais, qui ait une expérience dans la traduction, qui dispose des outils nécessaires (TAO, dictionnaires, glossaires et ressources d'internet) et qu'il les utilise. Cette option est la plus sûre parce que ce professionnel utilise les outils adaptés et, ce qui est le plus important, il sait à tout moment de quoi il parle. Je sais que certains traducteurs pensent que ce dernier élément est superflu, et ils n’ont pas tort dans certains contextes. Mais pour me traduire, moi, il faut bien savoir de quoi je parle. Il faut avoir une bonne formation en neuroanatomie et en neurophysiologie, qu'on ne peut acquérir qu'en suivant les matières correspondantes pendant les études de médecine. 

Confessions d'un texte médical face à une imminente traduction de l'anglais à l'espagnol

Je me sentirai également privilégié si je suis traduit par un diplômé en traduction et interprétation qui, comme le médecin, est un bon connaisseur de la langue espagnole (surtout) et de l'anglais, qui a une expérience dans la traduction, qui dispose des outils nécessaires (TAO, dictionnaires, glossaires et ressources d'internet) et qui les utilise, et qui s’est spécialisé en traduction médicale, à travers des cours, masters ou quoi que ce soit. Ce traducteur devra passer plusieurs jours à étudier les thèmes abordés dans mon texte, et même s'il fait cela avec tout le sérieux du monde, il ne pourra jamais garantir que sa traduction soit optimale, précise et fidèle à l'original. Mais si, par chance, ce traducteur est un bon professionnel, il enverra son travail à un médecin, traducteur ou pas pour qu'il le corrige. Le comble de la chance serait que ce médecin soit celui de l'option antérieure.

Mais je crains le pire. Je tremble également face à la possibilité que l'on me traduise, pour très peu d'argent, à l'aide d'un traducteur automatique ou l'un de ceux qui traduisent aujourd'hui les textes médicaux, demain du droit et après-demain de la gemmologie ou l'aérodynamique des vaisseaux spatiaux, depuis l'anglais, l'allemand ou le français à l'espagnol, au catalan et à l'espéranto si c'est nécessaire. Mon futur, dans ce cas-là, est désolant. Il ne me reste qu'à désirer que, si on opte pour cette erreur, on termine par passer mon texte au médecin du premier cas, même si c'est seulement pour certifier que je suis mort et enterré.

Confessions d'un texte médical face à une imminente traduction de l'anglais à l'espagnol

Mais si je dois mourir comme texte, je vais formuler un dernier vœu : que le traducteur qui s'occupe de ma traduction soit en activité, qu'il soit de ceux qui aiment se mettre devant un texte comme le mien avec le désir de le traduire sans laisser de trace. Que cela ne soit pas de ceux qui dirigent des chaires, donne des cours, des séminaires et débattent avec des mots solennels sur les mots que les autres doivent employer, même si ils n’ont jamais ou presque jamais traduit, et qui prétendent enseigner une profession qu'ils n'exercent pas et n'ont même pas exercé. Quelques-uns ne connaissent même pas l'anglais! S'il-vous-plaît, que ce soit un traducteur professionnel.

Espérons enfin qu'il tombe entre les mains d'un chef de projet sage et avec de l'expérience, un professionnel qui sache que tout ce que j'ai dit est indispensable et qu'il cherche, pour moi, le meilleur traducteur dans cette spécialité, en faisant la sourde oreille aux chants des sirènes d'amis et professionnels non compétents qui abondent dans le milieu. J'espère que le chef de projet comprendra qu'il doit compter sur le meilleur traducteur de la spécialité, et qu'il ne peut confier ma traduction à personne pour des motifs extraprofessionnels, comme il arrive beaucoup plus souvent qu'on ne le croit.

Enfin, j'ai peur.

Pour consulter la version originale de cet article en espagnol, cliquez ici.

Portrait de Pablo Mugüerza
Pablo Mugüerza

Médecin et traducteur depuis plus de trente ans, Pablo Mugüerza collabore avec différentes entreprises et organismes du monde entier, dont l’OMS. Sa page web et son blog sont une vraie mine d’or pour les traducteurs, Pablo y aborde les défis propres à la traduction médicale entre l’anglais et l’espagnol.

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