|
|

Comment la traduction a fait des mangas un phénomène mondial

Publié le 06/10/2025

Sans traduction, les mangas seraient sans doute restés confinés au Japon. Elle a permis à de nombreuses personnes de profiter de cette culture niche et de cet art directement venu du Japon, ce qui a grandement aidé à son développement à l’échelle mondiale. Mais traduire un manga ne consiste pas seulement à transposer des mots d’une langue à une autre. C’est aussi un art délicat, qui consiste à transmettre une culture entière, à jongler avec des jeux de langage et à décider du degré d’adaptation possible. Il s’agit également de convaincre un public cible et de choisir les mots justes afin qu’ils puissent parler à tout le monde.

Índice de contenidos

Index of contents

Index du contenu

Inhaltsverzeichnis

Indice dei contenuti

  1. Des frontières franchies
  2. Un tremplin économique
  3. Entre fidélité et adaptation
  4. Une influence réciproque
  5. Les défis du métier
  6. Conclusion

Des frontières franchies

Au Japon, les mangas sont depuis longtemps (selon Wikipédia : le premier manga considéré comme tel date de 1902) une institution, lus par toutes les générations et publiés chaque semaine dans des magazines gigantesques comme le Weekly Shōnen Jump (Le Weekly Shōnen Jump (littéralement « le saut de jeune garçon hebdomadaire ») est un magazine japonais de prépublication de mangas hebdomadaire (généralement, pour les jeunes garçons et adolescents)). Pourtant, pendant des décennies, ce patrimoine culturel est resté cantonné à l’archipel. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que les premiers éditeurs étrangers se lancent dans l’aventure. En France, la maison d’édition française Glénat publie Dragon Ball, qui devient rapidement un raz-de-marée et ouvre la voie à d’autres séries. Aux États-Unis, Viz Media mise sur Sailor Moon ou Pokémon, qui passent du statut de bande dessinée exotique à celui de produit de culture populaire mondiale. La traduction a donc agi comme un véritable passeport culturel, permettant au manga de quitter son territoire d’origine et d’entrer dans l’imaginaire collectif international.

Un tremplin économique

Cette ouverture n’a pas seulement eu un impact culturel. Elle a fait naître une industrie colossale. Une fois traduits, les mangas se vendent par millions et structurent un marché entier. En France, ils représentent aujourd’hui la moitié des ventes de bande dessinée. Des maisons d’édition spécialisées se créent, des métiers nouveaux apparaissent, de la traduction à la révision en passant par l’adaptation graphique des bulles. Et chaque succès entraîne d’autres marchés dans son sillage : les animés doublés et sous-titrés, les jeux vidéo localisés, les produits dérivés.

L’exemple de Demon Slayer est particulièrement parlant. Publié en 2016 au Japon, il est très vite traduit et diffusé dans le monde entier. Résultat : plus de 150 millions d’exemplaires vendus, un film qui bat tous les records du box-office japonais et une avalanche de produits dérivés. Sans traduction rapide, un tel rayonnement aurait été impossible. Même le piratage, avec le phénomène du scantrad (« scantrad » (scan + traduction) est un manga qui a été numérisé et traduit par des fans. Ces traductions ne sont pas officielles, mais elles permettent à beaucoup de lecteurs d’avoir accès aux nouveaux chapitres avant leur sortie dans le pays en question (généralement, tout juste après leur publication au Japon)), a contribué à accélérer la machine : pour répondre à la demande des lecteurs, les éditeurs officiels ont dû proposer des traductions quasi simultanées, ce qui a transformé les habitudes de publication.

Entre fidélité et adaptation

Mais traduire un manga, c’est aussi s’aventurer dans un terrain délicat. Pendant longtemps, les éditeurs ont privilégié l’adaptation, parfois au prix d’une perte culturelle. Dans les années 1990, les fameux onigiri (boulettes de riz japonaises enveloppées d’une algue nori) de Pokémon se transformaient en « sandwichs » afin de paraître plus familiers au lecteur occidental. Les suffixes japonais comme -san ou -sama (suffixes honorifiques placés après le nom de l’interlocuteur pour s’adresser à ce dernier en fonction du statut social de l’individu. Généralement traduits par « Monsieur » ou « Madame ». Il existe également des variantes pour les jeunes filles et les jeunes garçons : -chan et -kun) disparaissaient, jugés trop compliqués. Résultat : une partie de l’identité des personnages et de la culture japonaise se diluait.

Depuis les années 2000, le mouvement inverse s’est amorcé. Les traducteurs choisissent désormais de conserver les termes japonais, en misant sur la curiosité du lecteur. Les ramen restent des ramen, les onigiri des onigiri. Loin d’être un obstacle, ces choix renforcent au contraire l’attrait pour la culture nippone et transforment chaque manga en petite fenêtre ouverte sur la vie quotidienne au Japon. Grâce à cette fidélité accrue, la traduction a contribué à faire découvrir aux lecteurs étrangers la gastronomie, les fêtes, le système scolaire ou encore les croyances traditionnelles japonaises.

Une influence réciproque

La traduction n’a pas seulement diffusé le manga à l’étranger, elle a aussi inspiré de nouvelles formes créatives. En France, des auteurs se sont approprié le format pour créer ce qu’on appelle des manfra (« manga français »), comme Radiant de Tony Valente, qui a même été publié au Japon, bouclant symboliquement la boucle. Au Canada, la série de comics Scott Pilgrim a mélangé les codes graphiques du manga et ceux de la BD américaine avec un succès considérable. Ce phénomène a donné naissance à ce que l’on appelle désormais le « global manga », une esthétique hybride, partagée et adaptée partout dans le monde.

Les défis du métier

Derrière chaque tome de manga traduit, il y a enfin un travail invisible mais complexe (voir notre précédent article ici sur les coulisses de la traduction). Le traducteur doit trouver des équivalents à des jeux de mots parfois intraduisibles, décider comment rendre les innombrables onomatopées japonaises, adapter le texte à la taille des bulles et répondre à des délais toujours plus serrés. Il est tour à tour artisan du texte, médiateur culturel et équilibriste sous pression.

Conclusion

La traduction a donc été bien plus qu’un simple outil de transposition linguistique. Elle a ouvert les marchés, créé une industrie multimilliardaire, diffusé la culture japonaise et inspiré de nouvelles générations d’auteurs occidentaux. Sans elle, les mangas seraient probablement restés un trésor local. Grâce à elle, ils sont devenus une culture mondiale, étudiée dans les universités et célébrée dans les salons du livre comme dans les conventions de fans.

La prochaine fois que vous ouvrirez un tome de One Piece ou de My Hero Academia, souvenez-vous que derrière chaque réplique drôle, chaque discours héroïque ou chaque onomatopée percutante, il y a un traducteur qui a rendu cette histoire accessible au monde entier. Sans ce travail souvent invisible, le manga n’aurait jamais acquis cette universalité.

Portrait de Tristan Rochas
Tristan Rochas
Cet article a été rédigé par Tristan Rochas, étudiant en première année de Traduction spécialisée multilingue à l’Université Grenoble Alpes, spécialisé en anglais et en japonais. Passionné par les langues et la culture japonaise, il ambitionne de poursuivre ses études au Japon et d’y construire son avenir professionnel.

Ajouter un commentaire

1